Doute
intérieur, extériorisation de ce doute, désapprobation,
menace, désobéissance – telles sont les étapes
du difficile chemin que seule une minorité de sujets est capable
de suivre jusqu'à son terme. Toutefois, il ne s'agit pas là
d'une conclusion négative. Elle a au contraire le caractère
d'un acte positif, d'une volonté délibérée
d'aller à contre-courant. C'est à la soumission que
s'attache la notion de passivité. La désobéissance
exige non seulement la mobilisation des ressources intérieures,
mais encore leur transformation dans un domaine situé bien
au-delà des scrupules moraux et des simples objections courtoisement
formulées : le domaine de l'action. On ne peut y accéder
qu'au prix d'un effort psychique considérable.
Pour beaucoup de nos participants, il est pénible de revenir
sur la promesse qu'ils ont faite à l'expérimentateur
de lui prêter leur concours. Alors que le sujet obéissant
rejette sur ce dernier la responsabilité de son action, le
sujet rebelle accepte celle de détruire l'expérience.
Par son refus, il croit avoir nui à l'intérêt
de la science, contrecarré les projets de l'expérimentateur,
s'être montré indigne de la tâche qui lui avait
été confiée. En réalité, c'est
à cet instant précis qu'il nous a fourni la mesure de
base que nous cherchions en même temps que la preuve formelle
de l'existence de valeurs nobles propres à l'espèce
humaine.
Le coût de la désobéissance, pour celui qui s'y
résout, est l'impression corrosive de s'être rendu coupable
de déloyauté. Même s'il a choisi d'agir selon
les normes de la morale, il n'en demeure pas moins troublé
par l'idée d'avoir délibérément bouleversé
une situation sociale définie, il ne peut chasser le sentiment
d'avoir trahi une cause qu'il s'était engagé à
servir. Ce n'est pas le sujet obéissant, mais bien lui, le
rebelle, qui ressent douloureusement les conséquences de son
action.