Blés


 

 

Amende honorable

 

   Par soucis de justice, de vérité et de crédibilité, je me dois d'évoquer les erreurs que j'ai commises, les actes quelque peu lâches et dont je ne suis pas fier, dans lesquels j'ai pu me fourvoyer par le passé. Je ne veux pas me charger d'une culpabilité démesurée par rapport à mes faiblesses, mais je ne peux les passer non plus complètement sous silence, au risque d'être malhonnête ou inéquitable.
Dans un autre temps, à une autre époque, je dois reconnaître que j'aurais pu, avec la même inconscience que la sienne, me lancer dans une histoire à peu près aussi inconséquente que celle dans laquelle se lança mon ex femme, et l'abandonner aussi lâchement qu'elle me le fit. Cette interchangeabilité potentielle des rôles, me laisse extrêmement perplexe. Disons que, je ne me sens plus tout à fait seulement, une victime intrinsèque, mais pouvant être, ou avoir pu être, autrefois, injuste moi aussi, en presque totale inconscience. Il faut beaucoup d'efforts pour accepter de voir nos parts les plus sombres. Etre honnête avec soi-même est particulièrement difficile. En amour, je dois reconnaître avoir été, au moins deux fois, un parfait saligaud.
Le premier souvenir remonte à la naissance de mon fils.
Il y a de cela maintenant longtemps, lorsque mon ex femme est entrée à la clinique pour donner naissance à notre enfant, j'ai profité de ce moment là, de son absence prévue de quelques jours, pour proposer à une jeune femme de mon entourage professionnel, de passer une soirée ensemble. C'était dangereux et complètement insensé. Je risquais de sacrifier mon couple et ma vie familiale pour une banale histoire de cul bassement triviale, mais je le fis.
J'avais choisi ce moment, tout bêtement, par commodité, parce qu'elle était absente, et que, de plus, nous allions déménager dans une autre région le mois d'après. Je n'aurais plus risqué alors, de croiser ma conquête, même par hasard, et j'avais aussi le sentiment, par cet acte là, d'enterrer définitivement, d'une certaine façon, ma vie de garçon, comme on dit.. Je ne fus effleuré par aucun scrupule, absolument aucun... Je me serais même, sûrement, trouvé quelques justifications. Je pensais qu'en pareille occasion, elle ne se serait peut-être pas gênée, elle non plus, ce qui à l’époque, n'était pas certain. Quand j'y repense aujourd'hui, j'en demeure stupéfait, stupéfait par moi même comme s'il s'agissait de quelqu'un d'autre. Je ne comprends pas comment j'ai pu être aussi irresponsable, aussi inconscient, aussi minable... Au lieu d'être près d'elle, au moins en sentiment, au moins en pensée. Non, j'étais ailleurs, dans mon petit « moi », préoccupé par des flirts printaniers, immature. Elle n'en a rien su, ce qui n'enlève cependant rien à mes intentions inavouables. La dulcinée que je m'étais proposé de cueillir, m'a éconduit avec un : « Oh ! vous les mecs, vous êtes vraiment tous pareils ! », blasé...
Episode lamentable de ma vie, petite bassesse ordinaire que je compte bien ne plus jamais renouveler. Je ne voyais pas le problème, comme un aveugle qui ne voit pas les couleurs et ne peut seulement les imaginer. Etonnant, cette impression que ça fait, quand à présent, on les distingue toutes. Etonnant, cette sensation d'être passé à côté d'une catastrophe dont on était la cause, et de savoir qu'elle est restée en suspens, comme ça, dans l'air, figée dans le passé.
C'est moi alors, qui aurais peut-être été la cause du cataclysme de notre séparation. Peut-être... Mais aurais-je été aussi répugnant qu'elle, aurais-je fait montre d’autant de bassesse ? Je ne peux l'imaginer, pas à ce point, j’espère…
Pourtant, je sais qu'avec une autre, j'ai été loin, moi aussi, d'être glorieux, un vrai misérable. J'écris ceci, et sûrement, à notre époque, ça peut paraître étonnant de broder sur une tentative avortée d'adultère. Ridicule même, risible, tant il est aujourd'hui coutumier de tromper son conjoint tant et plus, avec désinvolture, voire fierté. Pourtant c'est essentiel, de savoir que la personne avec qui l'on vit est importante, de ne pas être ingrat, en ayant bien conscience qu'elle compte pour nous, et que nous sommes heureux qu'elle soit là, à nos côtés, et de lui en savoir gré.
Je dois donc avouer alors, une faute bien lâche, et sans guère de circonstances atténuantes celle-ci, car elle s'inscrivit dans le temps. Il y a longtemps, j'ai usé et abusé, pendant un an, et sans la moindre culpabilité, de la seule femme qui m'ait vraiment aimé. Simplement parce que j'avais repéré ses failles, ses vulnérabilités, ses faiblesses. Je me suis senti le droit d'en profiter comme si les fragilités d'une personne étaient, pour ainsi dire, des fautes qu'on pourrait exploiter et sanctionner. Je la recevais en coup de vent, je la déshabillais, je la baisais, et je la jetais dehors aussi vite que je pouvais. Oui, c'est odieux à écrire dans sa crudité, mais je l'ai fait. J'ai fait ça. Pendant un an. Pour cela, je demande sincèrement pardon. Accepter de voir que j'ai pu être, à un moment, au moins un peu comme mon ex femme, m'incline à plus d'indulgence envers elle, et de recul. Lui pardonner ? Non pas, mais ressentir moins de répulsion, probablement.
Donc, à la question « Est-ce que j'aurais pu la tromper moi aussi ? » Evidemment, oui, hélas, à mon corps défendant, je suis bien obligé d'en convenir. Je n'étais pas, moi non plus, exemplaire, du moins virtuellement. Je l'aurais fait, et pour pas grand chose, en plus. Rien que pour une jolie croupe qui passait par-là. Pour un joli minois, non seulement, j'aurais pu la tromper, mais j'aurais pu, aussi, la quitter... comme ça, de but en blanc, pour la nouveauté de courbes gracieuses. J'ai le souvenir intact de visages, de prénoms, de personnes de cette époque là, qui m'étaient presque de véritables inconnues, avec qui je l'aurais trompée, bien sûr, mais avec qui, même, il est très probable, j'aurais pu filer. Et cela sans problème de conscience, simplement parce qu'elles étaient jolies. Pas seulement, bien sûr... mais pour ainsi dire...
Je me souviens de ses yeux bleus intenses, de son visage harmonieux, je me souviens du moment, je n'aurais pas hésité. Je me souviens d'une autre, aussi, qui m'aurait tenté : Isabelle... J'aurais fauté à chaque fois ! Bordel de bordel ! Ne valais-je pas mieux qu'elle ou simplement ne m'intéressait-elle pas tant que ça à ce moment là ? Avais-je détecté, déjà, chez elle, des insuffisances ? Sûrement, mais pas vraiment de danger. Simplement, pour moi, à ce moment là, elle ne comptait pas vraiment. Sûrement parce qu'à cette époque, c'est moi qui décidais tout et apportais tout. Elle suivait, et c'est moi qui comptais. C'est moi qui parlais, moi qui expliquais, moi qui savais. Elle n'amenait rien que sa présence, sa docilité et la gratification de son engouement pour moi. Elle avait le second rôle, et je me devais bien de la dédaigner un peu. . .
Un couple, quel que soit sa durée de vie, est presque toujours un échange marchand. Je te fais profiter de mon argent, de ma situation, de mon pouvoir. Tu me donnes ta beauté ou ta jeunesse. Je te donne mon corps. Tu me donnes ta richesse ou la sécurité. Chacun croit y gagner, au moins ne pas y perdre.
Les choses restent en l'état, et la plupart du temps, les années qui passent ne changent rien. Dix, vingt ou trente ans après, si les nœuds n'ont pas été dénoués, ils sont toujours en place, le temps ne les aura pas dissous. Sûrement m'en a-t-elle voulu de ne pas lui avoir témoigné clairement, l'estime que j'avais pour elle, le sentiment de l'importance qu'elle avait pour moi. Même si elle n'en a jamais rien su, elle dut avoir l'intuition que je n'étais pas toujours réellement présent pour elle. Ah ! Nature humaine... A qui se fier ? Même pas à soi-même sur lequel on est presque toujours aveugle. Et l'on est tous comme ça... Pas tellement étonnant que le monde explose tous les soirs, au journal télévisé. Comment sortir de là ? Pas facile... Tantôt victime, tantôt bourreau. Il n'y a qu'une façon d'arrêter ça : arrêter d'utiliser les autres, arrêter de s'en servir. Ca demande une volonté ferme, des efforts sur soi, tant il est si facile de se laisser aller sur la pente de la commodité. Mais on n'a pas le choix, sinon, on recommence à l'infini les mêmes erreurs, on se retrouve dans les mêmes culs-de-sac.
On croit plein de trucs, alors que la seule chose qui nous importe, le plus souvent, c'est d'enfiler la femme avec qui l'on est, le plus profond possible, le plus longtemps possible. La plupart du temps, on regarde qu'une chose, si la fille est bandante ou pas, sa capacité à réaliser nos fantasmes érotiques. En règle générale, il est assez rare qu'on regarde tellement plus loin que le bout de notre bite. Le reste, hélas, est trop souvent secondaire, mais devient par la suite, toujours, s'il n'est pas en accord, source de graves malentendus. Souvent donc, ça ne va pas plus loin que l'apparence et c'est dommage... parce qu'on en a vite fait le tour. Et que même avec le plus beau des petits culs, la plus belle des femmes, peut vite nous faire vraiment regretter ses charmes les plus intimes. Quand on a baisé, de toute façon, un moment ou à un autre, l'essentiel finit toujours par se poser. C'est ce qu'il y a dans la tête des gens qui est important, car c'est toujours avec ce qu'il y a dedans, que les gens peuvent nous faire mal. Et c'est toujours à cela qu'on se retrouve confronté. Pour le meilleur ou pour le pire...
Au bout du compte, il ne faut jamais oublier qu'on est vraiment toujours tout seul. On croit rencontrer des alliés, mais le plus souvent, ils ne sont là que le temps où ça les sert, le temps où nous leur sommes utiles, et rares sont ceux sur qui on peut véritablement compter. Les trahisons sont monnaie courante, et il est difficile d'y échapper.
Malgré les actes indignes que j'aurais pu commettre, et n'ai pas commis, malgré parfois, peut-être, une certaine arrogance passée, je ne méritais pourtant pas, un tel acharnement de haine, une telle violence, et de si nombreuses années de dénigrements. Mon ex femme me fit payer au centuple, mes imperfections, qui souvent, étaient plus une inconsciente désinvolture où il n'y avait pas de quoi, vraiment, fouetter un chat.
Je demande, en tout état de cause, pardon à celle qu'elle était à ce moment là, qui ne m'avait encore rien fait, méritait des égards, et que j'ai pu traiter, parfois, quelque peu à la légère. Ca n'enlève, de toute façon, rien à nos différences trop profondes, à son cynisme odieux, et au malentendu que fut notre rencontre, mais au moins, il ne sera pas dit que je n'aurai jamais fait amende honorable.

 

© Nérac, 2003

 

 

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