Olivier s'était inscrit sur ce site de rencontre
depuis trois mois déjà, quand il vit s'afficher dans la
mosaïque de la page web, le portrait tout sourire de la
femme avec qui il avait eu une aventure il y avait quelques
temps. « Pas possible ! », se dit-il. Elle
était allée elle aussi rejoindre Meetic, le plus grand site
de rencontre du pays, ajoutant sa trombine éberluée, son air
gentil de façade et son sourire faux à la multitude de
vignettes déjà présentes... En détaillant sa photo, comme
ça, si on ne la connaissait pas, elle avait l'air d'une
jolie femme mûre, élégante brune aux cheveux mi-longs,
avenante, dynamique et sympathique. Encore et toujours le
jeu des apparences. On ne peut pas, on ne doit jamais se
fier aux apparences, car tout le monde le sait, pourtant,
elles sont trompeuses... pensa-t-il. Lui qui la connaissait,
savait que ce regard gris bleu dissimulait une duplicité
certaine, et même, une dureté possible. Il savait cela car
il avait été confronté à son comportement. C'était la seule
façon de connaître un peu les gens. Rien d'autre ne pouvait
nous éclairer sur ce qu'ils étaient que ce qu'ils faisaient.
Ces
sites étaient désespérants ! Réunissant un important
échantillon représentatif de notre société, ils présentaient
un condensé de la banale médiocrité humaine. Certaines
femmes publiaient une photo d'elles qu'elles avaient mal
découpée et où subsistait une partie de leur ex, un bout de
joue barbue qu'elles embrassaient, un bras tranché d'une
autre vie qui les enlaçait encore... Il y avait celles qui
ne présentaient qu'une photo d'elles, mais exposaient une
kyrielles de photos de paysages de vacances, couchers de
soleil, photos de chats, photos de chiens, de fleurs. Il y
avait celles qui s'exhibaient avec leur chien ou
chat (encore) ; dans les bras ou dans leur jardin,
entourées de fleurs...
Toutes, elles avaient pour livre préféré, « Je voudrais
que quelqu'un m'attende quelque part » d'Anna Gavalda
ou le dernier Marc Lévy. Anna Gavalda se lisait, et il y
avait pire, mais c'était tout de même sans relief, et pour
tout dire, bien barbifiant. Toutes, elles savaient que le
prince charmant n'existait pas mais elles indiquaient
qu'elles le cherchaient quand même, au cas où... Toutes,
elles conseillaient aux gens pas sérieux, aux abonnés des
rencontres d'un soir, aux chercheurs de plan cul et autres
infidèles, de « passer leur chemin » car cela ne
les intéressait pas du tout. Le summum de la rouerie étant
atteint lorsque des femmes sentimentales, sérieuses et pas
« frivoles » s'affichaient en bustiers ou soutif à
dentelles, en robes provocantes éclairées en contre jour, et
qui dessinaient, par transparence, leurs dessous
ravageurs... Toutes, elles avaient choisi pour pseudo
« Orchidée », « Élixir » (pas de
jeunesse en tout cas...), « Lamystérieuse » et
pratiquaient la philosophie sophistiquée du « carpe
diem »... Et toutes, elles cherchaient un homme qui les
fasse rire comme on cherche un comique pour animer les
soirées. En superposant tous les profils féminins, on
obtenait un portrait robot fait de la moyenne de toutes les
femmes, qui présentait les traits d'une caricature immature,
naïve, souvent pleine de prétentions, nunuche ou carrément
ridicule.
Sur ces sites de rencontre, il y aurait eu un livre à
écrire, un pavé de désillusion et de désespérance sur les
relations hommes femmes, une bible de tous les ratés, les
télescopages, les incompréhensions, les malentendus entre
les sexes. Ils étaient comme une scanographie en 3D du
gouffre de notre époque séparant les uns et les autres.
A tous les messages qu'il avait envoyés aux candidates de
l'amour, Olivier n'obtint que trois ou quatre réponses
entamant le début d'un échange, bientôt tourné court,
d'ailleurs ; une vingtaine de réponses négatives, et
pour le reste, le silence éternel des espaces infinis...
Cela lui faisait l'effet cauchemardesque d'être exilé sur
une planète lointaine, comme dans un film de science-fiction
où le héro voit les autres vivre à travers ses écrans, sans
pouvoir lui-même entrer en contact avec eux. Il avait
contacté, en y mettant le plus possible de personnalisation,
environ trois cents femmes ces dernières années. En effet,
il recopiait consciencieusement dans un fichier, le pseudo
des femmes à qui il avait adressé un message, pour ne pas
risquer de contacter deux fois la même. Ce qui lui aurait
fait perdre du temps, aurait risqué d'agacer les
destinatrices et n'aurait ajouté aucune chance
supplémentaire à son cas. Avec la fonction
« statistique » de son traitement de texte qui
comptait le nombre de mots, il avait fait le total qui avait
donné ce résultat. C'était faramineux quand on s'arrêtait
sur ce nombre ! Mais jamais il n'avait décroché la
possibilité, ne serait-ce que d'aller boire un verre quelque
part avec l'une d'entre elles. Il n'avait pourtant pas
affiché la tête de Quasimodo ! Mais ces mêmes femmes
qui se plaignaient sur leur profil de la façon indélicate
qu'avaient les hommes de les aborder, soit ne répondaient
pas du tout elles-mêmes pour décliner une proposition, soit
balançaient le message type de circonstance, aussi
stéréotypé que les messages d'accroche masculins qu'elles
recevaient en nombre. Il n'était donc pas étonnant qu'à ce
régime là, les hommes eux aussi se lassent, et finissent par
choisir la facilité du « flash » ou du
« Salut, ça va ? » mitraillé par centaine, et
tant déplorés sur les fiches féminines. Le
« flash » était un signal qu'on envoyait à une
personne pour lui montrer qu'elle nous plaisait. Celle-ci y
répondait ou pas... Dans le meilleur des cas donc, les
femmes répondaient par un copier-coller du message déjà
rédigé par le site pour leur faciliter la tâche :
« Bonjour ! Merci pour votre message, mais votre profil
ne correspond pas à mes attentes, je suis sûre qu'il
conviendra à d'autres personnes. Bonne continuation. »,
ou alors « Merci pour ce message. Votre profil ne
correspond pas à mes attentes, mais je ne doute pas qu’il
séduira d’autres membres ! Bonne recherche ! », « Je
suis désolée mais je communique actuellement avec un homme
qui me plaît beaucoup, je vous souhaite de
trouver... », « Je suis désolée, mais je ne
souhaite pas multiplier les rencontres car je corresponds
avec un homme depuis peu. Bonne
continuation. » Bien sûr, c'était déjà mieux que
rien... Olivier comprenait qu'il était fastidieux de rédiger
une petite phrase bien tournée de fin de non-recevoir, mais
si les bonnes volontés féminines faisaient un effort,
peut-être les hommes en feraient-ils autant... Tout cela
n'était humainement pas très réconfortant. Parfois, quand
même, Olivier était mis en favori par quelques femmes ou
bien d'autres, faisant preuve d'une audace sans pareil, lui
adressaient de leur propre initiative, un
« bonjour » isolé, perdu dans l'espace blanc de la
page. Hélas, ces initiatives n'étaient que le fait de femmes
bien âgées déjà, très en surpoids, affublées d'un double
menton souvent, quelque peu poilues aussi, et parfois, dont
l’œil égrillard ou l'air mauvais le faisait frémir
d'épouvante... Olivier se disait qu'il aurait peut-être eu
plus de succès et aurait trouvé plus facilement chaussure à
son pied s'il était homo, mais cela ne l'avait jamais
tenté... Il ne se décourageait pourtant pas.
Il avait essayé de comprendre la raison de l'échec de ces
sites à remplir leur mission et, après réflexion, il trouva
une explication qui tenait la route croyait-il. Le
cheminement de son raisonnement était que les femmes
croulaient sous la demande. Quelques amies le lui avaient
confié. Trop de choix tue le choix, dit-on. Et face à une
déferlante de propositions, comment s'arrêter sur un
profil ? Prendre le temps de répondre et d'échanger un
peu ? Son explication tenait dans cette constatation
d'un quasi harcèlement dont étaient victimes les femmes qui
s'expliquait par le fait qu'il y avait beaucoup, beaucoup
plus d'hommes que de femmes. Pourquoi ? Son intuition
lui soufflait que, si en majorité, seules les femmes
célibataires étaient présentes sur le site, un nombre
considérable d'hommes mariés ou en couple y figuraient en
plus des autres... Les hommes sont volages, et ils tentaient
leur chance, en parallèle de leur épouse, pour des aventures
sans lendemain. Une compétition féroce s'engageait donc
entre les prétendants et seules les plus belles gueules, les
plus grands, les plus forts tiraient leur épingle du jeu.
Ils se refilaient alors, entre quelques uns, toujours les
mêmes, les femmes les plus sexy du site. Les autres femmes
restaient sur le carreau comme restaient sur le carreau, les
hommes les moins réclamés. Car il l'avait vérifié sur
plusieurs années, c'était toujours les mêmes profils
féminins qui traînaient, abandonnés dans les quadrillages
des présentoirs, ceux dont personne ne voulait, ceux qui
restaient éternellement en carafe. Ce petit jeu était cruel,
autant que dans la vie réelle !
Le site concurrent, celui qui proposait au femmes de
balancer un homme dans leur caddie comme on jette un paquet
de nouilles, avait opté lui, pour la tranquillité de la gent
féminine, fut-ce au prix d'une certaine frustration
masculine. En effet, les hommes n'étaient autorisés à
envoyer aux femmes que des « charmes », à l'aide
d'une petite baguette magique. Les « charmes »
étaient identiques aux « flashs ». Les femmes
pouvaient ensuite, soit vous autoriser à les contacter par
écrit, soit vous laisser muré dans le silence, comme
derrière une épaisse vitre de triple vitrage... C'était pour
elles, un gage de tranquillité, la certitude de ne pas être
emmerdé par des messages plus ou moins graveleux ou
agressifs postés par des cons. Là aussi, les rares échanges
s'étaient révélés infructueux.
Il avait réfléchi à ce qui pourrait être un système plus
efficace, car les sites marchands comme Ebay, Le bon coin ou
autres étaient vraiment une réussite. La différence avec les
sites de rencontre était qu'à la première proposition, le
vendeur acceptait la transaction. Lui, ne cherchait qu'un
acheteur et n'avait aucun critère de choix. Pour bien faire,
il aurait fallu que les femmes acceptassent là aussi, le
premier venu... C'était pas gagné...
Revoir
Bénédicte, même en photo, ranimait un fort sentiment
d'amertume. Il s'en voulait presque davantage à lui-même
qu'à elle. Il s'en voulait d'avoir été trop gentil, trop
compréhensif, trop tolérant, trop patient. Alors, c'est vrai
qu'elle divorçait, que cela était récent et qu'il n'était
peut-être pas vraiment évident pour elle de se lancer dans
une nouvelle relation, mais il ne pouvait pas réfuter que
son investissement insignifiant, aurait dû le conduire à une
rupture plus précoce. En gros, il y avait clairement deux
mois de trop dans cette histoire qu'on eut pu couper
avantageusement comme ces films interminables... Il se dit
qu'il avait été trop coulant parce qu'il était plutôt
conciliant d'une façon générale, parce qu'il aurait souhaité
réellement construire une relation un peu viable et parce
qu'il n'avait pas, à sa disposition, un vivier étendu de
femmes disponibles dans lequel piocher.
Ils se voyaient de préférence l'après-midi. Elle sonnait à
l'interphone et il appuyait sur le bouton pour débloquer la
porte du hall. Ensuite il entrebâillait sa porte d'entrée et
attendait qu'elle monte. Elle prenait son temps pour grimper
les escaliers. Il entendait son petit pas qui se rapprochait
lentement, puis elle apparaissait dans l'encadrement,
présentant un visage presque halluciné, toujours le même, un
peu figé, un léger sourire aux lèvres, les yeux éblouis.
Elle entrait et ils échangeaient un petit baiser rapide sur
les lèvres. Ils ne se tenaient pas, ne s'enlaçaient pas, ne
se caressaient pas. Il la trouvait distante et pas très
chaleureuse, mais il avait décidé de ne pas vraiment s'en
soucier. Les gens étaient comme ils étaient, on les prenait
tels que ou on les laissait... Invariablement, pour rompre
la glace, pour se donner une contenance aussi, dans cette
échange emprunté, il lui proposait un café ou une boisson et
elle allait s’asseoir à la table, sur la chaise qui faisait
face à la cuisine ouverte. Elle commençait à lui raconter
quelques faits anodins de son métier d'institutrice ou plus
souvent les dernières péripéties liées à son divorce. Elle
était gentille et agréable, pas bête du tout et de
conversation facile. Elle avait mis un moment avant
d'accepter d'aller plus loin dans leur relation. Ils
échangeaient intellectuellement avec aisance mais il avait
vite compris qu'affectivement et physiquement, elle était
loin de lui être totalement acquise.
Au début, ils avaient commencé par aller boire un verre en
fin de journée, dans un petit bar à tapas, niché dans une
ancienne cave voûtée qu'elle appréciait. L'atmosphère était
très tamisée et ils y servaient d'excellentes sangrias
aromatisées bon marché. Ils échangeaient sur leur vies
respectives ou l'actualité, partageant souvent le même point
de vue.
Ensuite, ils retournaient à l'appartement. Il l'a prenait
par la main et la conduisait vers sa chambre, un peu comme
sur la pointe des pieds. Elle ne perdait pas son sourire,
mais sa façon un peu contrainte de le suivre, le
turlupinait. Au bout de quelques semaines, ça finit par le
démanger de lui dire : « J'ai l'impression
que tu n'aimes pas tellement les câlins... » Mais il ne
se décidait pas à aborder ce sujet là et à lui parler plus
franchement. Car si cela avait été effectivement le cas, si
elle avait répondu « Oui, c'est vrai, je ne suis pas
une grande sensuelle... », où cela les aurait-il
menés ? Il ne lui en voulait pourtant pas, tout comme
il ne lui en voulait pas de n'être pas gourmande, d'avoir un
appétit d'oiseau, et même, de ne prendre aucun plaisir à
savourer la moindre nourriture, ne serait-ce qu'une
pâtisserie fine. Ce n'était pas de sa faute bien sûr, et
elle-même aurait sûrement préféré apprécier la bonne chair
et les plaisirs d'une vie sexuelle qui l'aurait davantage
motivée.
Elle s'asseyait sur le rebord du lit et il commençait à
l'embrasser. Elle se laissait faire mais ne faisait pas
montre d'un enthousiasme manifeste. Il l'allongeait sur la
couette et la câlinait affectueusement. Il voyait bien
qu'elle avait du mal à lâcher prise. Peu pressée de
s'abandonner à ses sensations, elle s'obstinait à continuer
une discussion à laquelle, à présent, il avait du mal à
s'intéresser. Il lui déboutonnait alors son pantalon blanc
et, lorsqu'il en venait à le lui faire glisser le long des
jambes, elle ne tardait pas à disparaître au fond du lit.
Elle était vraiment jolie, très fine, avec un corps délicat
toujours affriolant pour son âge, mais il se demandait si
elle ne faisait pas exprès, pour freiner ses ardeurs, de
s'affubler de ses culottes blanches en coton qui lui
montaient presque sous le nombril. Il les lui retirait vite,
pour ne pas risquer de perdre ses moyens à la vue de ces
accessoires si peu sexy, alors qu'au contraire, elle aurait
dû, dans l'ordre des choses, se préparer soigneusement,
avec, pour le moins, de la lingerie plus suggestive... Un
soir d'été qu'ils avaient rendez-vous tard dans la soirée, à
cause d'un contre temps, il la découvrit même, du portail où
il allait sonner, en pantalon de jogging et marcel,
porte-fenêtres ouvertes, endormie sur sa banquette... preuve
de son impatience de le voir...
Il lui passait ensuite la main entre les jambes et promenait ses doigts
sur tout son corps. Elle se laissait embrasser, caresser et finissait
même par écarter les cuisses, mais il avait la nette impression qu'elle
participait à leurs ébats avec beaucoup moins d'enthousiasme que lui...
Même se faire lécher n'avait pas l'heur de lui plaire car elle
abrégeait assez vite, d'une traction vers le haut, son plaisir de la
laper. Elle finissait elle aussi, quand même, à la fin, par s'occuper
un peu de lui, mais jamais elle ne se regarda se faire baiser. Au
désapointement d'Olivier, le sexe oral ne faisait pas non plus partie
de ses désirs. Il prenait plaisir, malgré tout, à la baiser
gentillement. Il se disait qu'avec le temps, elle partagerait peut-être
avec lui, davantage que cette sorte de figuration à laquelle elle se
prêtait, que sa gentillesse et sa compréhension à lui, triompheraient
de ses retenues et de ses réticences.
Quand il avait fini, elle lui chuchotait : «
J'adore quand tu me pénètres. » Ça l'étonnait venant
d'elle, cette façon un peu crue de l'encourager. En y
songeant à présent, il en était venu à penser qu'elle
tentait, par cette affirmation qu'elle voulait exaltée, de
masquer, au contraire, son si peu d'intérêt pour la chose...
Et
encore, cela se passait-il ainsi dans le meilleur des cas,
car régulièrement, elle prétendait que des raisons, toutes
plus saugrenues les unes que les autres, l'empêchaient de
rester bien longtemps et donc aussi, souvent, de coucher...
C'était son grand fils qui l'appelait de toute urgence pour
venir à son secours le récupérer à des kilomètres de là,
pour cause de vélo crevé. C'était son chat qui s'était enfui
et perdu et à la recherche duquel elle était partie, à
travers les rues du quartier. Ou bien il fallait l'emmener
chez le vétérinaire parce qu'il était malade. Une autre
fois, c'était une inspection pédagogique de sa hiérarchie
qui nécessitait un gros travail administratif de préparation
et la bloquait de longs jours à la maison. C'était une
migraine, une gastro, une dépression causée par le deuil de
son chat (cette justification venait corroborer presque
indubitablement la réalité de la précédente raison
vétérinaire). C'était des dérobades, des fuites, des
faux-fuyants, des fausses raisons. C'était une litanie de
prétexte à ajourner, écourter, annuler. Tous ces petits
faits pris isolément n'auraient pas forcément signifié grand
chose, mais quand il les réunissait tous ensemble, ils
formaient un faisceau d'indices qui prouvaient qu'elle n'en
avait rien à foutre. Elle n'avait pas envie qu'ils se
voient, elle n'avait pas envie de venir et c'était son
droit. Il ne comprenait pas pourquoi, dans ces conditions,
elle continuait de se contraindre à se rendre chez lui et ne
mettait pas un terme à leur relation.
Qu'avait-elle fait endurer à son pauvre mari qui
n'avait sûrement, jamais connu qu'elle ?
s'interrogeait-il aujourd'hui. Quelle triste vie lui
avait-elle donc proposée tout au long de ces trente longues
années où ils firent vie commune ?
Ce soir là, elle avait donné rendez-vous à Olivier dans un
café un peu minable du centre ville. Un café ordinaire,
bruyant, défraîchi, pas très propre. Ils se retrouvèrent à
la terrasse et il lui lança un bonjour en prenant soin de ne
pas l'embrasser puis ils pénétrèrent à l'intérieur. C'était
un café avec des néons au plafond, un café sans chaleur et
intimité, un café que ne choisissent pas des amoureux.
C'était parfait pour une rupture. Le garçon vint prendre la
commande et il se décida pour un demi tandis qu'elle choisit
une limonade. Il regarda autour de lui, tous ces gens qui
participaient au brouhaha général. Ils n'avaient pas grand
chose à se dire elle et lui. Elle lui avait proposé ce
rendez-vous dans le but, sans doute, pensait-il, de lui
annoncer qu'elle souhaitait rompre. Cela ne lui faisait ni
chaud ni froid. Il la regardait un peu comme on regarde un
insecte, curieux de voir comment elle allait s'y prendre. Il
trouvait d'un grand intérêt d'observer les petites et les
grandes lâchetés des gens. Elle finit par lui
annoncer :
- J'ai pas de place dans ma vie.
- Tu n'as surtout pas de place pour moi parce que tu n'en as
pas le désir, lui répondit-il. Et tu en as parfaitement le
droit. Dommage que tu n'aies pas été capable de me le dire
plus tôt, au lieu de laisser pourrir la situation et de me
laisser traîner tout ce temps comme ça...
- Tu m'attends tout le temps, affirma-t-elle.
- Je ne t'attends pas. Et heureusement pour moi !
répliqua-t-il.
Qu'est-ce qu'elle croyait ? se disait-il, qu'il passait
son temps à l'attendre ? Il ne s'occupait pas d'elle
pourtant. La sachant très peu disponible pour lui, il ne
l'appelait jamais. C'était elle qui l'appelait quand elle
pouvait se libérer avaient-ils convenu. Il n'était pas
attaché à elle, il la prenait comme elle était. Si elle
était disponible, eh bien tant mieux, sinon, il faisait
autre chose. Il savait s'occuper seul et avait l'habitude
depuis le temps.
S'il l'avait appelée régulièrement pour qu'ils se voient,
s'il avait insisté, elle lui aurait reproché d'être
envahissant, de ne pas la laisser respirer, d'être
collant... Il ne l'appelle pas, elle lui reproche de
l'attendre tout le temps. Il se demanda ce qu'il aurait bien
pu faire qu'elle n'aurait pu lui reprocher, quelle conduite
adopter qu'elle n'aurait pu critiquer... Et il ne trouva
rien. C'était désespérant ces gens qui vous coinçaient de
tous les côtés quoi que vous fassiez. Ils ne vous laissaient
aucune possibilité de vous soustraire à leur mauvaise
interprétation, à leurs mauvais jugements.
Ils
se levèrent et se dirigèrent vers la caisse avant de
repartir. Peu après, ils passèrent devant chez lui et il lui
dit au revoir, sans animosité, pour lui faire comprendre
qu'il n'était pas fâché. Elle en fit de même et continua son
chemin. Il la regarda s'éloigner et se dit une fois encore,
qu'à l'image du café, les gens étaient souvent assez
minables...
Olivier
fit défiler vers le bas, l'ascenseur du site de rencontre,
et s'arrêta sur la photo souriante d'une jolie blonde dans
ses âges. Il cliqua sur son profil et lut la description
qu'elle avait publiée : « Bonjour, je recherche une
relation où il y aurait de l'humour, de la tendresse, de la
gentillesse. J'aime les hommes musclés et
tatoués. » Il s'étonna de cette préférence
revendiquée mais rédigea son message: « Bonjour, je ne
suis pas tatoué. musclé... je dirais normalement. Mais je
fais du sport ! En tout cas, je ne suis ni gros ni gras...
Mais cela est-il si important ? Olivier » Puis il
cliqua sur l’icône en forme de petit avion pour l'envoyer.
Il se dit qu'ils auraient plutôt dû choisir, comme symbole,
une bouteille à la mer...