me
décide à prendre la plume aujourd’hui pour vous
révéler dans une confession brûlante, combien
ma vie avait été transfigurée depuis que vous
aviez croisé vos pas d’avec ceux de mon épouse,
et comment je renaissais à une vie longtemps égarée
dans l’erreur.
Vous m’avez donné aussi une bonne leçon d’humilité,
et c’est avec repentir que je fais mon mea-culpa.
Maintenant qu’elle est loin, après que je dus m’en
séparer contre son gré, et pour son propre bonheur,
je réalise comme j’étais égoïste
et personnel de l’avoir confinée de si nombreuses années
en ma seule proximité, de n’avoir pas pensé
plus tôt, à partager et répandre davantage sa
compagnie pour le bénéfice d’autres hommes moins
favorisés que moi, par la bonne fortune d’une femme
si docile et avenante, comme j’étais mesquin à
m’accaparer ses gracieuses dispositions naturelles de tous
ordres.
Quand on voit de pauvres hommes littéralement ployer sous
la coupe de leur mégère, ça n’est en
quelque sorte que justice pour la gent féminine, si un échantillon
qui fait honneur à son espèce par sa délicatesse
et son onctuosité, parvient à s’émanciper
de son accablant mari, par le hasard favorable d’une rencontre
telle que la vôtre.
Si ! Je tiens à vous rendre hommage, ainsi qu’à
l’ensemble de votre conduite digne d’estime, dont j’ai
eu par le passé tout le temps de m’assurer lorsque
vous veniez en toute simplicité partager notre repas, et
que je ne savais pas alors, que vous couchassiez avec ma femme.
Ainsi, j’ai pu me rendre compte par moi-même, de cette
jovialité spontanée qui ne vous quittait jamais, et
fait un caractère heureux, et peu préoccupé
aux ruminations mentales et aux excès de scrupules.
J’ai apprécié aussi, et là, je m’incline,
votre sens de l’humour, ces traits d’esprit pétillants
dont je ne saisissais pas encore à ce moment là, toute
la portée fusante, telle ce parallèle que vous fîtes,
sur les imperceptibles modifications qui s’opéraient
entre soldats de patries en conflit, amenés trop longtemps
à se côtoyer dans un voisinage forcé par leurs
positions de campagne, et qui finissaient un beau jour par fraterniser.
Vous y voyiez déjà, en visionnaire que vous êtes,
notre entente cordiale d’aujourd’hui, et toutes mes
manifestations d’amitié à votre égard.
Vous avez forcé mon estime, Monsieur, par vos vertus personnelles
bien sûr, mais aussi, par toutes vos œuvres sociales
au service des autres, qu’on sent motivées par un grand
mouvement altruiste.
Bien sûr, indéniablement, c’est uniquement le
bonheur de ma femme qui vous préoccupait. De la savoir se
dessécher d’ennui près d’un être
si falot, véritablement se tarir dans une mélancolie
sans fond dont j’étais la source, elle, si prometteuse
en possibilités inexploitées selon votre propre expression,
devait, je n’en doute pas, vous nouer les viscères
d’indignation, et exalter votre compassion si preste à
s’émouvoir. Cela est tout en votre honneur et témoigne
de votre grandeur d’âme si prompte à secourir
les êtres en détresse, et de votre incommensurable
générosité.
C’est donc de ma plus haute considération que vous
bénéficiez, et je voulais que vous sachiez combien
vous m’aviez obligé de ces tromperies conjugales, et
quel honneur ce fut pour moi d’être cocufié par
vos soins. Sachez cependant que les talents dont elle a si bien
su vous enchanter, vous me les devez d’une certaine façon,
car je fus son maître de danse.
N’y voyez nulle offense, ni même excès de vanité,
mais plutôt une recherche d’assentiment ou d’approbation,
pour les fruits d’un long labeur obstiné effectué
dans l’ombre. C’est vrai, ce fut un véritable
enchantement que vos coucheries, que dis-je ? Une félicité,
une reconnaissance, et un couronnement de ma persévérance
pour faire acquérir à ma jeune femme, des qualités
que nous sommes seuls à pouvoir apprécier à
leur juste valeur.
Ingénument, je n’ai jamais abusé, pourtant,
de ces prérogatives du temps où je l’enseignais,
ni n’en ai jamais tiré profit personnel à ses
dépens d’une manière ou d’une autre. Je
prenais sans malice, plaisir à voir avec quelle ardeur elle
progressait en cette matière, et comment elle partageait
avec moi cet enthousiasme, entre nous, fort compréhensible.
Ceci pour vous attester que, tout en ayant atteint de hautes performances,
elle n’en fut jamais pervertie.
Vous me trouvez sûrement mal inspiré d’avoir
voulu garder par-devers moi tant de grâces et de dons, mais
j’ai pêché surtout par omission, je n’avais
tout simplement pas songé qu’elle pût en ravir
d’autres, et si j’avais su plus tôt que ma femme
fût votre maîtresse, et quel homme vous étiez,
j’aurais bien avant, laissé entière, la place
qui vous sied, comme il se doit dans pareil cas.
Tant d’hommes sont trompés par des rustres, des goujats,
des palefreniers, que je fus ravi de constater la maîtrise
et la sûreté de goût de mon épouse qui
avait su s’attirer les charmes d’un gentilhomme bien
né, raffiné et de surcroît désintéressé.
Le monde est plein de coquins et de fripouilles qui ne songent qu’aux
frivolités et prêts à vous poignarder dans le
dos pour quatre sous. Vous me voyez donc rassuré, à
présent que ma femme si douce, si fragile, et disons le mot,
candide, est partie vous rejoindre, la sachant dorénavant
en de si bonnes mains.
Si vous saviez les éloges qu’elle m’avait faits
de vous, vous en seriez transfiguré d’allégresse.
Elle était intarissable. Elle me racontait comme vous preniez
déjà grand soin de votre épouse actuelle, comme
vous étiez tendre et affectueux, toujours prêt à
l’aider dans les menus travaux ménagers si vous étiez
oisif, comme vous étiez disponible et prenant souvent le
devant de ses désirs, que vous connaissiez mieux qu’elle,
pour lui faciliter la vie; quel caractère conciliant et amène
elle avait le bonheur de côtoyer en votre personne, et toutes
les petites attentions quotidiennes dont vous faisiez preuve à
son égard, les mots gentiment hargneux, par espièglerie,
que vous lui murmuriez à l’oreille, votre patience
légendaire qui presque jamais ne vous faisait céder
à l’irritation. Tout cela qui lui faisait la vie douce
et sereine ne pouvait que charmer et attirer d’autres femmes,
et en particulier la mienne en tous points si semblable à
vous. C’est alors, non seulement avec compréhension,
mais aussi, avec le sentiment d’une grande légitimité
que je l’ai vue succomber à vos attraits.
Confiant dans vos qualités, je sais que vous en prendrez
bien soin comme elle se chargera elle-même de vous témoigner
son attachement par toutes les bontés et les prévenances
dont je la sais capable.
J’espère que votre femme aura autant de délicatesse
ou de tact que moi d’abandonner ses privilèges, et
de ne pas s’imposer davantage si elle réalisait n’être
pas tout à fait à la hauteur d’accueillir dans
son foyer, une personne à la mesure de mon ex-épouse,
avec tout le respect, la considération, et la déférence
qu’on lui doit, ou du moins, de se montrer toujours aussi
modeste et réservée que vous n’ayez pas davantage
à vous plaindre de sa compagnie ou de sa présence.
Ne voyez pas surtout, Monsieur, dans ma missive, de basses flatteries
dont le but serait de me faire accorder votre sympathie et votre
bienveillance, mais le besoin incoercible de vous exprimer mon admiration
sans borne et ma gratitude pour m’avoir ouvert les yeux sur
ce que j’étais : un paltoquet, et vous me voyez aujourd’hui
le cœur empli de contrition et de remords.
Je suis bien puni à présent, hélas, abandonné
de ma bien-aimée, seul et désemparé, sans non
plus, même, votre compagnie chaleureuse toute empreinte de
quiétude et inspirant la confiance, quêtant votre indulgence
et votre miséricorde.
Soyez heureux, Monsieur, auprès de ma chère matrone
acariâtre, vivez en harmonie avec ce cœur délicieusement
malveillant qui vous est vôtre, tandis que je pleure une existence
dépouillée de son sens, et comme de son rythme qu’étaient
les piques et les vexations lancées journellement par cette
mégère avec tant de virtuosité.
Ne plus entendre ses remarques acerbes, et ne plus, dans sa fréquentation,
respirer le climat de sa charmante humeur venimeuse qui suintait
comme un abcès purulent, a dénaturé ma vie
comme brusquement privée de son sel.