Madame,
Je viens vous écrire,
après ce si long silence, pour tenter de mettre fin à
ce terrible malentendu que je suis tellement désolé
de voir perdurer.
Je le vois bien à votre
regard, si noir parfois, quand il m’arrive de vous croiser, que quelque
souci vous préoccupe.
J’ai tout fait, pourtant, pour
vous rendre heureuse, en me séparant de vous comme vous me
l’aviez réclamé, et vous laisser vivre votre relation
importante auprès de votre nouvel "ami".
Vous étiez si pleine de
sollicitude et de compassion pour moi alors. Vous me disiez : «
Tâchez d'être plus indépendant, prenez du large,
vous feriez mieux… » Et vous passiez avec condescendance, la
main dans mes cheveux en partant le rejoindre.
Aujourd’hui encore, je me conduis
avec élégance et générosité envers
vous : je ne vous importune d’aucune manière ni ne vous harcèle
nullement. Si je m’adresse à vous parce que la vie nous y contraint,
jamais je ne vous insulte ni ne vous injurie. J’essaye de maintenir,
dans notre intérêt à chacun, des relations de
parfaite urbanité. Alors, que me vaut ce ton de pouffiasse
qui vous vient aux lèvres si spontanément ? M’en voudriez-vous
d’une ancienne inconduite de ma part dont je n’aurais souvenir ? Ou
bien est-ce vous telle que vous êtes vraiment au fond ? Je n’ose
y croire. Comment n’aurais-je pas décelé, durant ces
si nombreuses années passées à vous côtoyer,
que je fréquentais une pétasse ? Non ! J’ai dû
oublier un manquement à votre égard. On est si complaisant
avec soi-même…
Bien sûr, je n’écoute
plus vos confidences amoureuses, je ne vous accompagne plus choisir
votre lingerie, et ne suis plus là pour recevoir vos paires
de claques comme lorsque vous rentriez à quatre heures du matin
et que je vous exaspérais à vous demander ce que vous
pouviez bien fiche dehors à cette heure avancée.
Mais vous n’allez pas me tenir
grief du fait de vous rendre plus autonome, et ce jusque dans le choix
de vos sous-vêtements ? C’est important de savoir se déterminer
seul. Et puis, il valait mieux que ce soit vos goûts propres
plutôt que les miens. Ainsi, votre ami vous complimente vous,
plutôt que moi, comprenez-vous ? Et, la première, vous
en tirez un contentement personnel tout à fait justifié
et gratifiant.
J’avoue aussi avoir décliné
votre invitation me chargeant de l’entretien domestique de votre «
pavillon de chasse », ainsi que des différentes tâches
ayant trait à l’élaboration de vos repas. De même,
j’ai dû refuser les fonctions de mécanicien attaché
à votre véhicule, ne me considérant pas, après
réflexion, suffisamment qualifié pour garantir votre
parfaite sécurité routière.
Je vous remercie vivement pour
la reconnaissance de mes compétences auxquelles toutes ces
délégations que vous étiez prêtes à
me confier sont des témoignages.
C’est avec enthousiasme que j’aurais
effectué ces responsabilités, et c’est même volontiers,
si j’avais disposé d’un peu de temps vacant à la fin
de mes services, que j’aurais lavé vos culottes et récuré
vos latrines. Mais je ne veux plus vous importuner et ne puis accepter,
malgré votre grande mansuétude, de vous imposer encore
ma présence, même en la fonction de laquais.
Je sais quel niais je suis et
tiens à vous épargner les humiliations que vous subiriez
s‘il arrivait qu’on vous vît en ma compagnie, ne fût ce
qu’au titre d’employé de maison.
Donc, je vous en conjure, ne voyez
pas mon refus de vous servir comme une rebuffade ou un bannissement,
mais comme le désir de vous être agréable et de
ne pas abuser de vous davantage.
Vous comprendrez aisément
aussi, que pour éviter de vous infliger la souffrance causée
par le spectacle de ma déchéance, esseulé à
présent, sans vous, j’ai préféré espacer
nos rencontres et écourter nos conversations.
De la même façon,
vous me pardonnerez de ne plus vous témoigner autant que par
le passé, de preuves d’affection, ni de ne plus vous laisser
vous contraindre à d’odieux rapports physiques avec moi, sachant
le dégoût et la répulsion tout à fait compréhensible
que je vous inspire.
Vous qui étiez
si jalouse autrefois, il faut en convenir, et de façon
bien excessive, lorsque vous preniez ombrage de certaines de mes anciennes
maîtresses pourtant tout à fait inoffensives, vous partagez
à présent avec une autre, me suis-je laissé dire,
son mari, qui vous rejoint, on dirait, comme à reculons.
Vous voilà donc édifiée
sur les vertus de la patience, de la tolérance, et je m’en
réjoui.
Je suis bien persuadé que
vous êtes, aujourd’hui encore, toujours prête à
toutes les concessions pour continuer à bénéficier
des faveurs de votre élu. Jamais vous ne vous emportez ni montrez
signe de fureur comme vous étiez avec moi, accoutumée.
Je suis sûr que vous êtes devenue gracieuse, et montrez
bonne figure à chacune de ses visites où il vient vous
honorer. Comme quoi, vraiment rien n’est jamais acquis, et l’on a
beau dire qu’on ne se refait pas, qu’on a le caractère qu’on
a, ce ne sont là que fadaises et calembredaines, car je suis
convaincu que vous avez changé et que vous voilà devenue
la crème des crèmes, bonne et douce comme du bon pain.
Mais cela n’a pas toujours été,
et je me dois, par honnêteté envers vous, de faire la
lumière sur la nature du lien qui nous unit par le passé.
Madame, vous ne vous êtes pas fait aimer de moi, vous vous êtes
fait craindre ! Madame, vous m’avez terrorisé comme le fait
la milice, et j’ai confondu l’amour et la peur chronique. Vous vous
êtes engouffrée dans mes incertitudes, vous y avez enfoncé
comme des coins, vos sentences péremptoires. Vous vous êtes
insinuée dans mes failles pour vous emparer du pouvoir après
que j’avais tenté, moi, de le partager et de coopérer.
Vous m’avez exploité sans vergogne, vous m’avez utilisé
comme de la main d’œuvre, corvéable à merci, et jusqu’en
pur objet, un porte-sexe, toujours disponible pour vous enfiler. Vous
m’avez réduit comme un fétiche, arboré comme
un scalp. Vous avez rendu des soufflets contre la main tendue, et
avez failli me pulvériser sous les coups ininterrompus de votre
folle tyrannie. Mais c’est seulement grâce à sa mise
en place insidieuse que vous avez pu progresser jusque là.
Vous vous êtes embusquée derrière une image truquée,
un souvenir de ce que j’avais aimé et dont ne subsistait plus
qu’une apparence, comme un animal empaillé, une défroque,
pour m’envahir et me diriger.
Madame, votre faiblesse est immense
et vous en mourez. Votre force n’est que crispation et une tentative
alarmée de lutter contre la panique qui menace de vous submerger.
Vous vous maintenez en fauchant les autres, ce qui vous donne l’illusion
de la puissance dont vous êtes si dépourvue. Quand on
foule des cadavres, on se sent davantage vivant. Vous n’aimez pas,
même pas vous-même. Vous conquérez, tentant de
remplir votre vide intérieur en vous appropriant la substance
des autres, dans une boulimie compensatrice effarante. Et vous êtes
d’autant plus pauvre que votre standing est élevé.
Madame, je vous évacue
par tous les pores de ma peau, je vous expectore tel un crachat, je
vous excrète, vous qui sécrétez du poison comme
les vipères du venin, sans vous en rendre compte. Je vous le
dis, c’est un cas véritable d’exorcisme clinique.
Je ne vous vouerai pas cependant,
une haine éternelle, car ce serait encore comme être
relié à vous, un peu comme de l’amour en négatif.
Madame, je vous oublie dans ce lieu où vous allez reposer comme
dans le cimetière des éléphants, un endroit vide
et secret de ma mémoire.
Maintenant, je
vais sûrement être indiscret, et vais commettre, peut-être,
une indélicatesse, mais je ne puis, sans une lourde culpabilité,
vous abandonner dans l’adversité où vous plonge votre
complice qui ne vous a pas encore rejointe de façon permanente,
dans le charmant petit nid d’amour que vous lui aviez bâti,
il y a de cela déjà, fort longtemps. Je vais donc vous
faire une confidence, dont j’espère vous tirerez profit :
« Les hommes aiment à
baiser une putain aguicheuse, mais c’est seulement un fantasme érotique,
un jeu qui devrait cesser après les ébats. En effet,
aucun homme ne veut pour femme une « vraie » salope. Pas
même, un « vrai » salaud ! »
Votre serviteur.