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Eh! dis papa ?
- Ouais.
- Pourquoi tu briques le frigo ?
Elle avait deux ans et demi ma petite môme.
- Ben, pour qu’il soit propre.
- Ah !
Elle avait ses grands yeux interrogateurs, émerveillés.
Je pouvais lui répondre n’importe quoi, elle croyait
tout ce que je racontais. J’avais envie de lui dire et puis,
je me reprenais, non, on ne dit pas ces choses là aux enfants.
Pourtant, après tout, c’était plus honnête,
plus sincère.
- Tu sais, dis-je, on sait pas où on va, tous autant qu’on
est, tu comprends ?
Elle acquiesça de la tête.
- On fait des choses, mais on ne sait pas où ça nous
mène, tu vois ? On brique des frigos, on passe le balai, on
construit des maisons, mais on ne sait pas vraiment pourquoi, on ne
sait pas ce qu’il y a au bout. Les gens oublient qu’ils
ne savent pas, ils se dissimulent à eux même leur ignorance,
mais toi, tu vois, il faut que tu le saches, on ne sait rien, et moi
que tu regardes avec tant d’admiration, pas plus que toi, tu
comprends, dis ?
- Oui, fit-elle gravement.
- Mais je t’aime, toi, ma petite fille, et ça, on le
sait hein ?
- Oui, papa.
- La seule chose qui est importante au monde, c’est ça,
n’oublie jamais.
Je me suis relevé, j’ai jeté un œil sur son
dessin.
- Eh ! dis-je, pourquoi t’as fait un soleil bleu et des rayons
jaunes ?
- C’est parce que c’est un soleil bleu citron, répondit-elle
très sérieusement, il est les deux en même temps.
- Mais ça n’existe pas le bleu citron.
- Et ça ? Ca n’existe pas ? Fit elle en désignant
son astre bariolé, j’te dis qu’ça se peut
! Et ça, moi aussi j’le sais !…